La fouille archéologique préventive des « Rousses » est localisée au nord-est de la commune de Charentay, dans le département du Rhône, à environ 45 km au nord de Lyon et 30 km au sud de Mâcon. Elle s’est déroulée entre le 30 août et le 23 décembre 2021 sous la direction du groupement d’entreprises Paléotime (mandataire)/Eveha (responsable d’opération), préalablement à la tranche 4 (secteur 1) de l’aménagement de la ZAC Lybertec par la Communauté de Communes Saône-Beaujolais. Le terrain de fouille, d’une superficie de 3,2 hectares, est implanté sur une terrasse de la basse vallée de la Saône particulièrement favorable au développement des occupations humaines. Les vestiges archéologiques mis au jour sont en effet nombreux (1031 structures) et couvrent un vaste spectre chronologique depuis le Paléolithique moyen jusqu’aux périodes Moderne et Contemporaine. Ces découvertes sont venues avec bonheur compléter le panorama récemment acquis à l’occasion des opérations réalisées depuis 2009 sur l’emprise de la ZAC Lybertec et de ses raccordements routiers. La documentation de l’occupation la plus ancienne, qui remonte à la Préhistoire ancienne (Paléolithique moyen), a été confiée à l’entreprise Paléotime, tandis que ceux se rapportant à la période Holocène ont été fouillés en parfaite entente par la société Eveha.
Le Paléolithique moyen
L’opération s’est déroulée en deux phases :
– une phase d’évaluation complémentaire de la conservation d’occupations du Paléolithique moyen en secteur 1, sous la forme du creusement d’un transect à vocation géoarchéologique (TR1) ;
– une seconde phase d’évaluation/localisation de fenêtres de fouille privilégiées visant à mieux cerner l’insertion stratigraphique des occupations rapportées au Paléolithique moyen en secteurs 2a et 2b. Celle-ci a consisté notamment à poursuivre l’extension du transect TR1 en direction de l’ouest, et réaliser deux autres transects géoarchéologiques (TR2 et TR3). Deux fenêtres exploratoires d’une surface cumulée d’un peu plus de 2000m² ont ensuite été ouvertes en secteur 2a (fenêtres paléolithiques nord et sud).
Elle a livré une série de 228 silex taillés, pour l’essentiel des supports, nucléus et outils, que l’on peut rapporter au Paléolithique moyen (conception Levallois du débitage). Une partie provient de la fouille manuelle d’une petite concentration très localisée de pièces lithiques, organisées en amas de débitage. Quelques fragments de faune, des restes dentaires et fragments d’os long d’équidés exclusivement, mal conservés, sont associés à l’industrie lithique. Organisés en nappe diffuse sur l’ensemble du secteur 2a, ces témoins de débitage s’organisent autour d’un large vallon d’axe nord/sud dont les versants est et ouest restent à localiser. La séquence de comblement de ce paléovallon, documentée par une série de sondages profonds, illustre les cycles de formation de plusieurs paléosols gris. Plusieurs phases de dépôt de mobilier lithique y sont à ce jour mises en évidence, la principale se situant à la base, dans l’unité pédosédimentaire 7.
Si la densité de la nappe d’objets lithiques est peu élevée comme c’est souvent le cas dans ce type d’occupation de plein air à cette période, l’outillage est bien présent, suggérant des activités encore indéterminées mais complémentaires aux principales activités de débitage. La conservation en plein air d’un site moustérien, même partielle, sur plusieurs hectares est unique en moyenne vallée du Rhône et sur ses marges directes (ici, le val de Saône), renforçant d’autant l’importance de cette découverte.
Le Néolithique/Bronze final ?
La fouille a livré deux concentrations de plusieurs centaines de silex taillés renvoyant à une ambiance clairement néolithique. Celle-ci semble correspondre pour l’une à un poste de taille partiellement redistribué dans l’axe de la pente naturelle, et pour l’autre, à une aire d’utilisation d’outils lithiques, notamment d’une importante série de grattoirs réalisés sur des supports laminaires. Dans ce second ensemble, des tessons de céramique sont associés à l’outillage lithique.
Les vestiges rattachés à la Protohistoire ancienne sont peu nombreux. Les plus emblématiques renvoient à plusieurs fosses de grandes dimensions implantées sur le même axe en bordure d’un vallon. Leur interprétation a pu être éclairée par la fouille d’un exemplaire étroit et profond à profil caractéristique en « Y ». Ces fosses sont désormais identifiées comme des fosse-pièges (Schlitzgruben), dont le creusement peut adopter des profils variés (V, U, I, W). L’hypothèse cynégétique souvent avancée pour ces vestiges se fonde sur la découverte dans de très rares cas (5 à 10 %) d’os d’animaux au fond des structures, dont le spectre faunique renvoie majoritairement au monde sauvage (aurochs, cerf, chevreuil). Quelques structures comparables ont récemment été signalées dans le Val de Saône, à Quincieux, Pommiers et Beynost, avec des implantations similaires d’un point de vue topographique, dominant la plaine alluviale de la Saône, sous la forme d’alignements sur une courbe de niveau (Pommiers), en batterie (Beynost) ou disposées de façon plus lâche (Quincieux). A l’exception notable d’une fosse livrant un blaireau n’ayant pu se libérer, ces pièges ne livrent aucun mobilier archéologique permettant de statuer sur leur datation. Leur rattachement chronologique se fonde sur les occurrences connues par ailleurs depuis l’extrême fin du Mésolithique jusqu’au premier âge du Fer, avec une préférence pour le Néolithique et l’âge du Bronze, qu’il faudra confirmer par des datations au radiocarbone.
Le premier âge du Fer
Une fréquentation du site au début du premier âge du Fer est envisagée grâce à la découverte d’épandages de céramique épars associés à de rares fosses et trous de poteau ne dessinant pas de plan de bâtiment. Il est probable que le site se développe sur les marges de l’emprise de fouille, en particulier dans la zone orientale qui a livré lors des sondages archéologiques préalables, des trous de poteau indiquant la présence de bâtiments, associés à des fosses, des foyers, des vases de stockage enterrés et une possible mare. Les données restent trop partielles pour envisager de restituer l’organisation de l’occupation ou encore d’estimer son extension. Ces vestiges sont certainement en lien avec les petites unités d’habitation datées du Hallstatt C (VIIIe-VIIe siècles avant notre ère) reconnues à proximité de l’actuelle rive gauche de la Mézerine. La fin du premier âge du Fer est par ailleurs représentée par un puisard de plan circulaire profond de 1,40 m, dont les parois sommitales sont évasées avant de se rétrécir rapidement en un canal plus étroit de 0,30 à 0,40 m de diamètre. Son comblement est constitué d’une succession de rejets de foyer très charbonneux associés à des nodules de terre rubéfiée signalant l’existence d’un habitat à proximité immédiate. Un petit lot de céramique a permis de supposer une datation plus récente qui pourrait, en première analyse, s’intégrer dans une phase tardive du Hallstatt D ou de La Tène A (Ve siècle avant notre ère).
Le second âge du Fer
L’occupation humaine ayant le plus fortement marqué le paysage se rapporte à la fin du second âge du Fer (La Tène D). Les vestiges se rapportent au plan complet d’une ferme délimitée par des fossés dessinant un enclos quadrangulaire (50 x 42 m) d’une superficie de 2100 m². Les fossés sont larges de 2 à 4 m et leur creusement montre un profil en « V », avec des parois souvent très évasées, conservé sur une profondeur d’environ 1,50 m. Un gros trou de poteau implanté au niveau de l’angle sud-est pourrait être à l’origine de la construction géométrique de l’enclos par symétrie axiale. La vidange de l’intégralité des fossés a permis de s’assurer de l’absence d’interruption matérialisant habituellement les entrées. Cela implique que l’accès à l’enclos devait se faire au moyen d’une passerelle ou d’un ponton. Cette disposition particulière, assez inhabituelle au regard des exemplaires régionaux contemporains, pourrait s’expliquer par la nécessité de maintenir une bonne évacuation des eaux dans un secteur au caractère humide reconnu. Sa localisation au milieu de la branche orientale apparaît toutefois fortement probable, si l’on en juge par la répartition des mobiliers archéologiques (céramique et faune) au sein des fossés, le système d’accès aux enclos concentrant généralement de part et d’autre l’essentiel des rejets domestiques liés aux activités de l’établissement rural. Un second argument de poids réside dans la présence au droit du fossé oriental de fossés parallèles se dirigeant vers le centre de la branche, qui pourraient correspondre à des fossés bordiers encadrant une voie ou un chemin d’accès desservant la ferme. La fouille de l’espace interne a révélé une concentration notable de négatifs de trous de poteau, fosses et vidanges de foyers, qui permet de supposer la présence d’un bâtiment résidentiel construit en terre et bois au nord de l’enclos. La bande vierge de cinq mètres le séparant du fossé septentrional correspond à l’emplacement de la levée de terre interne constituée des déblais issus du creusement des fossés. La mise en évidence de montants carbonisés dans certains trous de poteau laisse supposer une destruction résultant d’un incendie. La possibilité d’explorer la périphérie immédiate de l’enclos sur une grande superficie a révélé un ensemble de vestiges se rapportant à des linéaires (fossés de drainage ou de parcellaire, palissade), des structures en creux (trous de poteau et fosses), un four et des foyers datés de la même période. La vocation agricole de l’établissement est clairement établie par la découverte sur sa bordure méridionale de cinq greniers dévolus à la conservation et au stockage des récoltes (céréales ou légumineuses) à l’abri de l’humidité et des nuisibles. Leur plan est apparu très classique, de forme quadrangulaire, avec quatre trous de poteau de fort diamètre aux angles destinés à soutenir une plateforme aérienne. Deux modules ont été reconnus, un grand de plan rectangulaire (7,2 m²) et un plus petit carré (4,62 m²). Un négatif de poteau supplémentaire sur un des côtés correspond à l’ancrage de l’échelle lui donnant accès.
Ces découvertes confirment l’existence d’un établissement rural de la fin du second âge du Fer généralement interprété comme une propriété agricole à caractère le plus souvent familial. Sa structuration repose sur l’implantation d’un enclos accueillant l’habitation, avec au dehors les infrastructures de l’exploitation et des activités de production (stockage, corrals, pâtures et champs). Ce type de « ferme indigène » (de l’anglais native farm) est désormais bien connu à l’échelle régionale, avec la découverte de plusieurs enclos comparables dans ce secteur de la basse vallée de la Saône (Fareins, Mionnay, Civrieux, Quincieux, Anse). Le modèle de développement proposé voit dans leur émergence le témoignage d’une nouvelle forme d’organisation et d’exploitation du territoire, leur apparition intervenant en parallèle avec le développement des grands habitats groupés et fortifiés de type oppida. L’interprétation de cet établissement peut compter sur un mobilier archéologique relativement abondant (céramique, faune, parure en métal…) qui permettra de préciser les diverses activités s’étant déroulées dans son enceinte. Le cadre chronologique est en revanche bien cerné entre la seconde moitié du IIe et la première moitié du Ier siècle avant notre ère (La Tène D). La datation de son abandon a par ailleurs pu être précisée par la découverte d’une petite fibule de type Alésia et une agrafe de ceinture en bronze, dont l’intérêt réside dans une chronologie resserrée entre les années 60 et 30 avant notre ère. Ces deux pièces sont régulièrement associées au domaine militaire et leur diffusion accompagne clairement le déplacement des armées romaines durant la Guerre des Gaules (La Tène D2b).
La période antique
A l’établissement de la fin de l’âge du Fer succède une occupation antique qui n’a laissé que peu de traces au sol. Elle est essentiellement matérialisée par des fossés de parcellaire et plusieurs aménagements hydrauliques (puits, fossés de drainage, remblai d’assainissement) témoignant d’une reprise de l’exploitation agricole du secteur. Ces structures sont comblées par d’importants rejets domestiques mêlés parfois à des vidanges de foyer (céramique, tuile, faune, métal) datés depuis la période augustéenne jusqu’aux IIe-IIIe siècles. Parmi les vestiges les plus spectaculaires, il faut mentionner un puits à eau profond de 6,40 m et conservant dans sa partie basse un cuvelage maçonné de plan circulaire, d’une largeur interne de 0,70 m. La partie supérieure du conduit et la margelle ont fait l’objet d’une récupération de matériaux. L’appareillage du cuvelage en pierre est régulier et son montage soigné. Il est constitué dans sa partie supérieure de gros blocs de pierre bleue issus du métamorphisme local, tandis que les deux tiers inférieurs mettent en œuvre des « pierres dorées » en calcaire, bien connues dans une large zone au nord-ouest de Lyon comprenant les Monts d’Or et le Beaujolais. Le fond du puits se signale par un sédiment très organique ayant permis la conservation de végétaux et de bois. Son remplissage a livré de très nombreux rejets, dont de grandes quantités de céramique et de tuiles. Ce mobilier est associé à des ossements d’animaux, une fibule en bronze, une hache en fer et des meules à grain, qui signalent l’existence d’une exploitation agricole à proximité immédiate. Les éléments de datations disponibles en première analyse permettent de supposer une utilisation entre la fin du Ier et le début du IIe siècle.
Le bas Moyen Âge
Après une déprise de plusieurs siècles, le secteur révèle une occupation médiévale datée pour l’heure de la première moitié du second millénaire (XIe-XVe siècles), soit plus récemment que l’espace funéraire mérovingien (VIe-VIIe siècles) reconnu lors du diagnostic au sud-est du site, hors emprise de fouille. Les vestiges se rapportent à un bâtiment très arasé, dont les maçonneries conservées dessinent un rectangle de 4 x 8,24 m (33 m²). Son exploration a révélé une structuration plus complexe que celle entrevue initialement, avec un état antérieur construit en terre et bois obéissant à la même logique d’implantation. Il n’en subsiste que des tronçons de sablières basses compartimentant l’espace, qui semble s’étendre en direction de l’est, comme le laisse supposer les tranchées et les trous de poteau découverts sous le radier se développant dans ce secteur. Le bâtiment sus-jacent est construit sur des solins maçonnés recevant une sablière en matériau périssable. La vidange des tranchées de fondation a permis de mettre en évidence des alignements de trous de poteau le long des façades, qui semblent se rapporter à la phase de construction de l’élévation (banchages, échafaudages…). La fouille des sablières appartenant au premier état a livré peu de mobilier archéologique et sa datation reste à préciser, tandis que les niveaux d’abandon du second bâtiment sont associés à de nombreux lots de céramique du bas Moyen-Âge (XIV-XVe siècles).
Un second pôle d’occupation a été reconnu plus au nord avec un bâtiment sur poteau porteur, dont certains des montants en bois ont visiblement brûlés sur place. Un silo est situé à proximité immédiate, caractérisé par un profil en « poire » conservé sur un mètre de profondeur. Sa fonction renvoie à un mode de conservation enterré bien connu pour les céréales et les légumineuses. Les fragments de céramique compris dans son remplissage ciblent également l’extrême fin du Moyen Âge ou le début de la période Moderne. On notera la découverte d’une pointe de javeline à douille en fer abandonnée sur le fond. Dans le même secteur, un enclos quadrangulaire de 25 m de côté a partiellement été mis au jour en limite de fouille. Aucun système d’entrée n’a été identifié le long des fossés reconnus, sachant qu’il nous manque toute la branche orientale et une grande partie de celle septentrionale. Son espace interne conserve un niveau de sol cendreux et charbonneux d’environ 300 m² comprenant de nombreuses céramiques d’époque médiévale posées à plat, des scories de fer, des clous et un peu de faune. Ce niveau recouvre un semis de trous de poteau et de fosses, ainsi que quelques fossés et drains, l’enclos accueillant certainement un habitat contemporain.