La position géographique du site des Tierces, sur un versant nord et à plus de 1100 m d’altitude, aurait tendance à influencer par la négative l’image que nous nous faisons des occupations anciennes de ces contextes montagneux. Les travaux conduits à l’été 2021 viennent prouver d’une part que ces contextes géomorphologiques particuliers (dolines) peuvent être propices à la conservation des vestiges et d’autre part que la nature des structures mises au jour témoigne d’une occupation pérenne des lieux, pas uniquement saisonnière.
Les premières traces de fréquentation remontent au Bronze ancien. Bien que ténues, un seul vestige attribuable à la séquence, elles sont néanmoins caractérisées par un mobilier céramique et une pièce métallique (alêne) diagnostiques. Comme le souligne J. Vital dans son étude, les vases qui s’y rapportent sont uniquement des jarres. Ces récipients à la fonction très orientée vers le stockage pourraient éventuellement témoigner de la proximité de l’habitat relatif à cette période.
De façon plus assurée, le tout début du Bronze final voit l’installation d’une petite communauté (famille ?) sur le site des Tierces. L’analyse spatiale combinée aux résultats des différentes études spécialisées ont permis d’en dresser un portrait et d’en proposer une organisation. Sur une surface d’environ 2350 m², autour d’une habitation disposant d’un foyer interne, se développent des annexes que nous supposons à vocation agro-pastorale. Trois plans de bâtiments ainsi individualisés pourraient correspondre à une bergerie/étable, un grenier surélevé et une grange/entrepôt. Un ultime quadrilatère plus spacieux, dessiné au sol par une série d’alignements de poteaux avec calage, évoque un enclos à bétail.
L’étude de la culture matérielle par J. Vital vient conforter l’idée d’un habitat permanent et non d’un habitat saisonnier. Le vaisselier rassemble toutes les classes typologiques conforme à celles d’un habitat et bénéficie d’un large champ de comparaisons couvrant un large quart sud-est de la France, le Piémont et la Lombardie au-delà des Alpes.
Les résultats archéozoologiques et paléoenvironnementaux viennent affermir une économie de site tournée vers l’élevage, préférentiellement d’ovi-caprinés, et la culture céréalière. Sur ce dernier point nous mettrons l’accent, à la suite de Lucie Chabal, sur l’importance des résultats préliminaires obtenus. L’analyse des écofacts n’est encore que partielle mais elle témoigne par la nature des carporestes en présence et les marques de battage qu’ils comportent, d’une agriculture in situ, adaptée au milieu et à la rudesse du climat. En outre, la dizaine de structures légères s’articulant autour d’alignements ou tripodes de poteaux et/ou calage ne sont pas sans rappeler les meules de séchage et conforte elle aussi l’hypothèse d’un traitement sur place des productions. Enfin, sans qu’il soit possible de l’affirmer, les quatre outils à percussion lancée et posée découverts au sein d’un comblement de fosse pourraient avoir servi au broyage des végétaux mais également à des matières plus dures. Le fragment de meule à va-et-vient découvert lors du diagnostic (Sandoz et al. 2020) vient donc bien utilement soutenir le corpus des outils de mouture.
Plus anecdotiquement mais apportant également de la matière à la réflexion sur la nature ce cette occupation, la présence du chien est à souligner au sein d’une communauté d’éleveurs/agriculteurs devant faire face à la présence du loup et de l’ours.
Ainsi, l’occupation du début du Bronze final du site des Tierces apporte un éclairage nouveau sur les communautés alpines, particulièrement dans un secteur qui n’était jusqu’alors investigué que par le biais de l’archéologie programmée ou de sauvetage. Les comparaisons ne sont en effet pas légion. En l’absence de fouilles effectives sur le site du Coin à Aussois (Ozanne, Vital 1999, Chemin 2020), la cavité du site des Balmes à Sollières-Sardières (Vital, Benamour 2012) demeure la référence la plus pertinente. Naturellement au-delà de la Haute-Maurienne, le site des Tierces trouve de bons parallèles avec les occupations de Chens-sur-Léman où nous retrouvons peu ou prou une structuration de l’espace identique (Néré et al. 2014), sans oublier sur la frange de ce domaine circum-alpin le site du Boulevard Périphérique nord de Lyon (Vital et al. 2007).
L’occupation du site des Tierces ne semble pas perdurer au-delà du Bronze final 1a. Les lieux apparaissent exempts d’activités humaines jusqu’à l’âge du Fer où deux foyers et une fosse en W attestent d’une fréquentation ponctuelle du secteur (estive et chasse ?) entre les VIIIème et Vème s. av. n. è (foyers) et les IVème et IIIème s. av. n. è. (fosse en W).
Après un long silence de plusieurs siècles, le site est à nouveau occupé au Moyen-Âge. Les deux états médiévaux du site, le haut et le bas Moyen-Age, se présentent sous des formes et des contextes historiques bien différents.
La première période (Xème siècle) est incarnée à travers un seul vestige, artisanal et bien préservé, le four à chaux FR2009. Si son isolement n’est pas une surprise de par sa nature, il est un jalon significatif des connaissances alto-médiévales du fait de la rareté des structures archéologiques connues pour cette période dans la vallée de l’Arc. En effet, sa présence implique qu’un réseau d’habitats ou à défaut, qu’une ou plusieurs communautés, sont présentes pour avoir besoin de produire de la chaux. C’est également ce que laissent entendre discrètement les sources écrites avec les mentions des activités du pouvoir religieux (évêché de Saint-Jean de Maurienne, abbaye de Novalaise) ou royal (carolingien puis bourguignon) et leur emprise au sein de la Haute-Maurienne et ses marges.
Quelques siècles plus tard, le contexte a changé avec le développement et la pérennité du comté puis du duché de Savoie. Dans ce cadre, le bas Moyen-Age (XIIIème – XVème siècle) est ainsi représenté via des vestiges en creux dont certains préservent une partie des pièces de bois utilisées par dessication, contemporain de l’habitat maçonné dont l’ampleur occupe principalement la tranche 2 de la fouille (Goy et al. en cours). Grâce aux sources écrites, les vestiges peuvent être identifiés comme une chavannerie, unité foncière locale se présentant ici sous la forme d’un petit hameau relevant de la juridiction de la paroisse du Bourget, elle-même devant des redevances au duché de Savoie. Si une mention manuscrite est rencontrée au début du XIIIème siècle, le matériel et les datations radiocarbones indiquent une occupation jusqu’au début du XVIème siècle tandis que les textes évoquent l’habitat encore au XVIème siècle.
Nous terminerons enfin sur la question du hiatus repéré entre les deux chronologies médiévales. De rarissimes éléments de céramique peuvent être associés entre le Xème et le XIIème siècle, sans vestige associé. Il est ainsi possible que le site soit abandonné avec la fin de l’utilisation du raffour. Il faut attendre l’installation de la chavannerie des Tierces, au plus tard au tout début du XIIIème siècle pour (re)trouver les traces d’une activité humaine. Gageons que les prochaines investigations sur les parcelles environnantes permettront de confirmer ou d’infirmer cette désertion du site à la fin du haut Moyen-Age.
INTERVENANTS :
Aménageur : Tunnel Euralpin Lyon-Turin TELT-SAS
Prescripteur : DRAC – SRA Auvergne-Rhône-Alpes
Opérateur : Paléotime
AMÉNAGEMENT :
Zone de stockage de matériaux d’excavation des puits de ventilation et du tunnel de base
LOCALISATION :
RAPPORT FINAL D’OPÉRATION :
Référence bibliographique :
DUNY A. (dir.), DEI CAS Q., BOULBES N., CHÂTEAUNEUF F., FÉNÉON L., FERREIRA-DOMINGUEZ A., GARNIER N., LIOTTIER L., MARTIN L., RUÉ M., TREMBAY-CORMIER L., VITAL J. – Occupations protohistorique et médiévale en Maurienne : le site des Tierces – Phase 1 à Villarodin-Bourget (Villarodin-Bourget, Savoie, Auvergne – Rhône-Alpes), Rapport final d’opération, Villard-de-Lans : Paléotime, 2023, 2 vol., 599 p.