Le gisement du Chêne Vert sur la commune de Dirac (Charente) a été mis à jour lors du diagnostic réalisé par l’INRAP en août 2008, dans le cadre de travaux de réhabilitation du centre d’instruction militaire du 1er Régiment d’Infanterie de Marine d’Angoulême. Il est localisé sur un large plateau délimitant l’extrémité nord du Bassin aquitain et formé par les dépôts carbonatés du Crétacé supérieur. Il est implanté sur un gîte de matière première, sous la forme d’argiles de décarbonatation dans lesquelles s’intercalent deux bancs résiduels de silex turonien (un faciès à nodules plats ou lentilles et un faciès à rognons). L’opération de diagnostic a mis en évidence une probable occupation holocène dans les niveaux supérieurs et de nombreux vestiges lithiques du Paléolithique moyen au sein d’un niveau sablo-graveleux à galets et cailloux, épais d’environ 30 cm, qui recouvre les altérites à silex (Prodéo et al., 2008). Suite à une prescription du Service Régional de l’Archéologie de Poitou-Charentes, une fouille préventive a été menée par la Société Paléotime, sous la direction de M.-C. Dawson du 20 septembre au 22 octobre 2010, sur une emprise de 1000 m2.
Un premier décapage mécanique, couplé à la réalisation de tranchées de reconnaissances, ont permis de reconnaître la séquence stratigraphique complète et de définir l’extension de la couche à mobilier moustérien (l’unité 3) ; il fut suivi par un creusement extensif jusqu’au sommet du niveau archéologique. Cette première approche a permis d’aborder le contexte géomorphologique et d’implanter 3 secteurs de fouille manuelle, totalisant 33 m2. Ces secteurs ont fait l’objet d’un prélèvement par lots et par quart de m2, sur des passes d’environ 10 cm, ainsi qu’un tamisage ponctuel (1 seau par décapage et par m2).
La complexité de l’histoire taphonomique du niveau archéologique, reconnue dès la phase terrain, a été confirmée par les analyses spatiales, de fabriques, de granulométrie et des états de surface du mobilier. L’état de conservation du site est sans aucun doute affecté par différents processus pédosédimentaires. Les divers mécanismes ayant conduit à l’enfouissement des vestiges lithiques au sein de l’unité 3 sont complexes et semblent résulter de différentes phases d’apports de versants en masse, en contexte périglaciaire et dans l’axe du talweg reconnu (orienté nord-ouest/sud-est). Celles-ci sont en outre combinées à des phases de résidualisation par écoulement, déflation et/ou bioturbation, et donc de phénomènes affectant directement la surface du sol.
La solifluxion semble être l’un des principaux agents enfouisseurs ; la sous-représentation de la classe des fractions fines (2-4 mm) indique un appauvrissement secondaire du site par un ruissellement diffus. La répartition aléatoire du mobilier et le manque de concentrations nettes suggèrent une redistribution du mobilier. Les remontages livrent une orientation dans le sens de la pente du talweg, confirmant le rôle de celui-ci dans la remobilisation du site. La fabrique isotrope est probablement le reflet de phases de déformation postérieures à la mise en place des matériaux, telles la cryoturbation et le sous-tirage karstique. Quant aux données altérologiques inscrites sur silex, si elles confirment que le mobilier a subi une série de déplacements en contexte périglaciaire, notamment lors de la mise en place de la couche archéologique, ces remaniements sont de faible ampleur, en attestent la rareté des stigmates de frottements sur les faces, le rôle réduit de l’usure et la quasi disparition des stigmates associés au déplacement après la mise en place de l’unité 3. Au vu des données taphonomiques, on peut raisonnablement penser que la ou les occupations humaines, et donc les activités d’extraction/débitage, étaient localisées un peu plus en amont du site fouillé.
L’étude techno-économique du mobilier, qui concerne près de 25 000 pièces, montre que l’écrasante majorité des silex archéologiques est tirée du site et provient du démantèlement des calcaires subcristallins de Dirac. Les deux types d’habitus (rognons et nodules plats) ont été exploités selon deux modes opératoires principaux : les débitages Levallois et Quina. Le premier est majoritairement de modalité linéale et se caractérise par un fort investissement technique. Les produits obtenus sont fortement normalisés d’un point de vue morpho-dimensionnel et rarement transformés par la retouche. Le débitage Quina a, en revanche, été essentiellement identifié sur rognons et se démarque par un investissement technique quasi-nul et une productivité élevée. Les supports obtenus sont essentiellement corticaux ou à dos corticaux, à section asymétrique ; ils sont peu transformés et on note l’absence de l’expression de la retouche Quina. On observe également une exploitation faciale opportuniste, uni ou multipolaire, indifféremment mis en œuvre sur nodules, rognons ou éclats. Enfin, une production minoritaire de pièces allongées est attestée via un débitage uni ou bipolaire semi-tournant, exclusivement réalisé à partir de nodules et éclats issus de ces derniers.
Les principales chaînes opératoires sont ramifiées mais les objectifs de production sont identiques entre chaînes opératoires principales et secondaires. Ces résultats démontrent que les Moustériens de Dirac ont su parfaitement adapter leurs objectifs de débitage avec les caractéristiques des deux habitus disponibles du silex turonien (dimensions, morphologie, qualité). L’ensemble des chaînes opératoires de débitage a été réalisé sur place et montre qu’une exportation, au moins partielle de la production, notamment Levallois, peut être envisagée. L’industrie de Dirac présente d’ailleurs toutes les caractéristiques d’un faciès d’atelier de production avec un fort taux de pièces corticales, un outillage retouché inférieur à 1 % et de rares produits allochtones (0,15 %). Ces derniers, fortement transformés, témoignent d’une collecte par les Moustériens dans des niveaux turoniens proches (secteur d’Angoulême) et des axes de circulations depuis des espaces voisins (< à 20 km), à l’est ou au nord-est (formations du liasiques et jurassiques) et peut-être, également depuis le sud-ouest (silex santoniens). Des déplacements sur de plus longues distances sont par ailleurs avérés par deux silex à radiolaires inconnus de cette partie du Bassin Aquitain.
L’un des principaux intérêts du site de Dirac concerne sa fonction d’atelier. La recherche de ses éventuelles relations et complémentarités économiques et territoriales avec les sites moustériens de la région (Jaubert, 2010), notamment sous abri, est d’autant plus importante que le silex turonien de Charente est un matériau systématiquement présent dans les séries régionales (Delagnes et al., 2006). Un des atouts majeurs de l’étude pétrographique est la mise en évidence de spécificités propres au silex turonien de Dirac : forme des spicules, présence non négligeable de quartz détritiques et surtout absence d’incertae sedis, organisme présent dans la quasi-totalité des silex turoniens Charentais. Cette particularité pourrait permettre de reconnaître dans les séries du Paléolithique moyen régional les pièces collectées à Dirac ; les perspectives de recherches, au niveau territorial notamment, prennent une ampleur supplémentaire.
D’un point de vue chrono-culturel, et en gardant à l’esprit l’éventualité d’un mélange d’occupations moustériennes, l’industrie de Dirac peut être rattachée à un Moustérien à débitage Levallois et affinités Quina qui, au vu des données régionales, se placerait dans une phase récente du Paléolithique moyen. Cette attribution chronologique semble confirmée par les données pédostratigraphiques et par l’unique date OSL obtenue sur l’unité 3 qui place la ou les phases d’occupation(s) humaine(s) antérieurement à 57 ka. Sur la base de l’étude de l’intensité des altérations sur silex et sur les observations micromorphologiques, nous proposons un calage chronologique, pour le fonctionnement du site, entre l’interglaciaire eémien et 57 ka, soit au cours du stade 4 ou au tout début du stade 3.