A l’issue du décapage et au regard des attentes annoncées dans le rapport de diagnostic, les premiers résultats ont été très décevants pour les secteurs 2 et 3 (nombreuses anomalies naturelles, rareté des vestiges et structures avérées, notamment néolithiques). Néanmoins, le secteur 3 a livré une surprise d’importance puisque le décapage mécanique a révélé une nappe de mobilier lithique attribuée au Moustérien et présentant localement des concentrations plus fortes d’objets. La présence de tels vestiges n’avait absolument pas été repérée lors du diagnostic. Le décapage mécanique partiel initialement préconisé dans le cahier des charges du SRA (1,5 ha sur les 3 ha réservés de l’emprise) a alors été abandonné sur ce secteur au profit d’un décapage extensif, révélant la présence d’une dépression argileuse occupant les 2/3 du secteur 3 et se poursuivant vers l’Ouest, vraisemblablement au-delà de la limite d’emprise. C’est au sein du comblement de cette dépression (paléochenal) que se trouvaient les pièces moustériennes.
La fouille de l’occupation moustérienne s’est alors déroulée sur un peu plus de 4 semaines, du 8 juin au 8 juillet 2015. Les enjeux scientifiques de l’opération, précisés en collaboration avec le SRA au cours de réunion-visite hebdomadaire, auront alors été in fine de pouvoir collecter une série lithique suffisamment importante et bien calée en stratigraphie, afin de compléter les connaissances sur l’occupation moustérienne au Sud de la vallée de l’Yonne, bien moins documentée que dans sa partie nord. La série lithique d’Appoigny, quoique géographiquement isolée, représente alors un jalon supplémentaire dans la reconnaissance de l’occupation moustérienne régionale.
Au total, ce sont quelques 2268 objets en silex qui auront été collectés sur le secteur 3, mais une partie de ceux-ci a été écartée de notre étude, relevant vraisemblablement de périodes plus récentes que le Paléolithique. L’étude technologique a donc concerné 1889 pièces, auxquelles il faut rajouter les pièces provenant des tests de tamisage (180 éclats et fragments supérieurs à 5mm et 459 esquilles inférieures à 5mm) portant l’ensemble de la série à 2528 éléments. Les éclats et lames y dominent, l’outillage retouché est plutôt abondant (entre 6,5 et 8,3% en fonction de l’échantillonnage total retenu).
L’analyse techno-typologique de la série a mis en avant une forte cohérence de l’ensemble recueilli tant au niveau des concepts de débitage mis en œuvre (essentiellement Levallois) que des objectifs de production (produits allongés quadrangulaires et triangulaires) ou encore du panel d’outils retouchés (type d’outils, style de retouche, supports sélectionnés…).
Au-delà de cette homogénéité « technique et stylistique », la série se démarque par un faciès économique peu fréquent en plein air. En effet, l’analyse technologique de la série, couplée au replacement des différents produits identifiés au sein des grandes séquences opératoires, permet de mettre en évidence un faciès de consommation dominant associé à une fragmentation spatio-temporelle des chaines opératoires. Si des activités de débitage ont bien eu lieu sur site, elles ne sont pas dominantes, en atteste notamment le faible taux des produits dits non-Levallois, et à un degré moindre ceux à plage(s) corticale(s) (particulièrement les produits totalement corticaux, peu représentés : 8,5% du groupe cortical), ainsi que la faiblesse des remontages (4%). Ces différents produits, ainsi que les nucléus (6%), ne reflètent vraisemblablement qu’une activité secondaire et complémentaire. Celle-ci est essentiellement réalisée à partir de sous produits de débitage, probablement importés et issus des premières phases de la chaine opératoire principale réalisée en dehors du site. Cette dernière a fourni de grands supports majoritairement (exclusivement ?) débités puis introduits sur site. Ces produits sont nettement surreprésentés (35,7%) pour être issus d’un débitage sur site. Une part importante de la production Levallois a donc été introduite sur site accompagnée de produits corticaux et peut-être de quelques blocs, en tant que matrices destinées à un débitage d’appoint sur site.
Productions principales et productions secondaires semblent régies par des modes de débitage similaires tout en s’adaptant aux contraintes des différents supports utilisés (blocs ou éclats). Dans le cadre des productions secondaires, les contraintes morpho-dimensionnelles des éclats-supports entrainent en revanche la mise en œuvre de modalités plus variées (unipolaire mais aussi centripète et préférentielle) et l’utilisation de raccourcis techniques (modalité kombewa). La production Levallois est donc moins normalisée que pour les supports issus de la chaîne opératoire principale. Les objectifs d’allongement des supports peuvent s’exprimer également au travers d’autres productions plus discrètes, notamment par le biais de débitage lamino-lamellaire volumétrique ou sur tranche d’éclat.
Les chaînes opératoires sont donc ramifiées et fragmentées dans le temps et l’espace. Elles ont fourni une gamme de supports relativement normalisés produits sur place ou le plus souvent importés. Une forte composante de pièces retouchées (8,3%) a également été introduite sur site. L’import massif et la forte représentativité de cet ensemble de produits finis (supports de plein débitage et outillage stricto-sensu) impliquent une utilisation au cours du séjour sur le site, dans le cadre d’activités probablement spécialisées (chasse, boucherie ?).
La nappe de mobilier lithique s’insère au sommet du comblement Pléistocène supérieur d’un paléochenal de l’Yonne, à la base du luvisol holocène (BT1) et au-dessus d’un horizon argilique rouge (BT2) dont la teinte indique une pédogénèse d’interglaciaire chaud, vraisemblablement éémienne. Le sommet de ce complexe limoneux-sableux de comblement est affecté par des coins de glace s’inscrivant dans un réseau polygonal plurimètrique, correspondant manifestement au dernier Pléniglaciaire. Les objets lithiques présentent d’ailleurs des plages de poli de glace caractéristiques et le gel a affecté une partie du matériel (cupules de gel). Le comblement du paléochenal correspond donc à l’ensemble du dernier cycle climatique, et la formation de la nappe d’objet se situerait après la pédogénèse éémienne, post-MIS5 et avant le MIS2). Les datations OSL obtenues sur la séquence de la coupe 1.3 confirment ces observations stratigraphiques.
Sur le secteur 3 d’Appoigny-Les Bries, il est difficile d’affirmer que les concentrations, ainsi que la nappe de mobilier lithique dans son ensemble, sont bien strictement contemporains les uns avec les autres… Outre l’aspect très localisé de ce mobilier, une certaine homogénéité semble néanmoins se dégager à la lecture des objectifs du débitage (morphologies) et des modalités mises en œuvre pour les atteindre (récurrentes uni- et bipolaire). Certains détails stylistiques semblent presque « signer » la production lithique, comme le soin apporté à la préparation des talons des éclats Levallois ou la retouche des racloirs, toujours très fines quelque soit le type de support (support de plein débitage prédéterminés ou produits semi-corticaux prédéterminants). Les principaux traits techno-typologiques de l’industrie sont cohérents et suffisamment caractéristiques pour permettre de rattacher l’ensemble à un technocomplexe moustérien Levallois à composante laminaire, à racloirs et rares bifaces, proche de ceux mis en avant en Sénonais au cours de la fin du Weichselien ancien et rapprochés du techno-complexe du Nord-Ouest. Sur la base des données stratigraphiques, des datations par luminescence et des comparaisons chronoculturelles régionales, nous rapportons donc la série moustérienne «des Bries » à une ou plusieurs occupations de la fin du stade isotopique 5.
INTERVENANTS :
Aménageur : Communauté de l’Auxerrois
Prescripteur : DRAC – SRA Bourgogne-Franche-Comté
Opérateurs : Archéodunum (mandataire), Paléotime
AMÉNAGEMENT :
Parc d’activités
LOCALISATION :
RAPPORT FINAL D’OPÉRATION :
Référence bibliographique :
GRASSO J. (dir.), ANCEL M.-J., BERNARD-GUELLE S., BLONDEL F., BLANCHARD A., BODU P., CHARLIER F., CHAVOT C., CHAMPEAUX D., CHESNAUX L., COLLOMBET J., COLOMBIER-GOUGOUZIAN A., DELENCRE F., DUCREUX A., FÉNÉON L., FLOTTES L., FOUCRAS S., GANDIA D., FERNANDES P., GEREZ J., GILLES A., JAVELLE J., LATOUR C., MAZET C., MOREAU C., PATOURET J., POLINSKI A., RUÉ M., TAYLOR A., VOLKEN M., ZIPPER K. (2021) – Appoigny, Les Bries, 100 000 ans d’occupation sous le parc d’activités, Rapport final d’opération, Archeodunum, Chaponnay, 8 vol., 2884 p.