La prescription de fouille porte sur près de 16 hectares. Les occupations humaines comprennent des secteurs à fosses du Néolithique moyen, de l’Age du Bronze ancien, de l’Age du Fer et de l’Antiquité, ainsi qu’un habitat antique et trois zones funéraires antiques et médiévales.
Les terrains situés autour du domaine de Favary, en rive gauche de la rivière Arc, font l’objet d’un projet d’aménagement sur plus de 30 hectares, ce qui a conduit le SRA de PACA à prescrire la réalisation d’un diagnostic. Il a été effectué par une équipe de l’Inrap durant l’hiver 2013-2014 sous la direction de M. Taras-Thomas. Devant l’ampleur des découvertes archéologiques, une prescription de fouille préventive a été émise. Le chantier s’est déroulé sous la responsabilité de É. Thirault, et a été conduit par le Groupement Momentané d’Entreprises Paléotime-Archeodunum. L’opération a mobilisé jusqu’à 50 archéologues sur le terrain et s’est déroulée dans des conditions météorologiques souvent défavorables.
L’emprise d’étude correspond à des terrains en pente douce vers le nord, formant de grands glacis à la cote généralement comprise entre 200 et 205 m. Ces terrains sont limités au nord par le cours de l’Arc, à l’est et à l’ouest par des ravins torrentiels tributaires de l’Arc orientés du sud vers le nord, et coupés au milieu par un vallon orienté sud-nord, aujourd’hui peu actif et remodelé par les façons culturales.
Le chantier a été divisé en trois zones disjointes dans l’espace, totalisant près de 14 hectares décapés et étudiés selon deux approches : planimétrique pour la majeure partie, correspondant aux vestiges de nombreuses occupations humaines ; et stratigraphique pour le vallon central et les nombreuses coupes réalisées dans les zones de fouille.
Une telle option de terrain comporte trois points forts :
- documenter les occupations humaines de manière extensive, dans leur diversité et dans leur succession : habitats, zones funéraires, parcellaires, traces agraires, etc.
- mais aussi, par déduction, démontrer l’existence de vides, en tous cas, d’absences de creusements, qui permettent de réfléchir à la notion d’ « occupation » et de « site » archéologique,
- et envisager une étude géoarchéologique extensive qui documente à la fois une portion de paysage (géomorphologie), les conditions de préservation/destruction des traces humaines (taphonomie) et l’impact des activités humaines sur une section du géosystème (en particulier par l’étude du vallon central).
Mis à part le substrat maastrichtien du site, quatre principaux ensembles morphosédimentaires constituent les terrains étudiés :
- Sur la plus grande partie des surfaces décapées, on trouve un épais complexe caillouteux calcaire lié au fonctionnement de la dernière terrasse pléistocène de l’Arc et du glacis de pente alimentant sa rive droite. L’obtention de datations par luminescence permettra de caler dans le temps ces dépôts du dernier cycle glaciaire.
- Dans toute la partie ouest de l’emprise, le long du vallat de la Foux des Rouves, et, plus ponctuellement, à l’est, contre le vallat de Favary, le sous-sol est composé par un matériau limoneux jaune comblant de larges chenalisations issues du versant sud. Le degré d’altération de ce matériau suggère un âge antérieur aux structures les plus anciennes du site, sans doute holocène ancien.
- Les deux ensembles précédents sont incisés par des chenalisations plus étroites, orientées en direction du nord-ouest et comblées par des matériaux limoneux brunifiés. Sur la bordure est du vallon central, un paléochenal profond de 2 m maximum, préservé sur plus de 60 m de longueur, constitue un témoin intermédiaire de l’enfoncement du réseau hydrographique au cours de l’Holocène ; la présence notable de mobiliers néolithiques permet de dater son fonctionnement.
- Enfin, sur l’ensemble des zones décapées, le sol actuel se développe sur une couverture colluviale inframétrique brun rouge générée par la régularisation progressive du toit du complexe caillouteux.
Le bilan archéologique est encore très provisoire. Les vestiges sont répartis sur toutes les emprises prescrites en fouille, sans limites nettes, ce qui laisse présager que l’intégralité de la plaine de l’Arc constitue, en soi, un « site » archéologique.
Sur le chantier de Favary, les niveaux de circulation contemporains de ces occupations successives ont disparu et les troncatures sont plus ou moins drastiques. Toutes les structures observées sont donc souterraines ou du moins en léger creux (chemins creux), ce qui handicape l’analyse spatiale des activités humaines. La succession des implantations humaines les plus marquantes peut, au sortir du chantier et avant toute analyse approfondie, être résumée ainsi.
Les plus anciennes occupations sont à rapporter au Néolithique moyen (Ve-IVe millénaires av. J.-C.). Elles sont attestées sur une bonne partie de l’emprise avec de nettes concentrations et des zones plus lâches, voire vierges de traces excavées. Ce constat primaire devra être passé au filtre de l’analyse taphonomique des vestiges, puisqu’il apparait que l’érosion de surface présente une intensité différente selon les secteurs. Plusieurs centaines de creusements sont identifiés. Nombre d’entre eux correspond à des fosses probablement vouées au stockage de denrées, d’autres sont peu profonds mais peuvent contenir un mobilier abondant, parfois disposé de manière structurée.
Un seul puits à eau a été identifié, de faible envergure (moins de 2 m de profondeur). Dans un des secteurs étudiés (secteur 8), au moins un bâtiment sur poteaux porteurs peut être attribué à cette période. Il présente un plan très similaire aux bâtiments mis au jour en 2013 au Clos du Moulin sur la commune de Vernègues (Bouches-du-Rhône). La question de la sériation de ces occupations demeure entière à ce stade : le suivi des mobiliers au cours de la fouille et durant le lavage permet d’affirmer que plusieurs phases sont attestées, notamment tout au long du Néolithique moyen.
Pour la fin du Néolithique, la présence humaine demeure discrète, peut-être représentée par quelques fosses en partie ouest de l’emprise. En revanche, sur cette même surface (secteur 1), une occupation de l’âge du Bronze ancien est bien identifiée par plusieurs dizaines de fosses-silos, dont une contenait une inhumation humaine surmontée d’éléments de mouture ; ainsi que par une grande fosse polylobée. L’ensemble forme un locus de moins d’un hectare, proche des berges de la rivière et dans un secteur de confluence.
Il semble qu’un hiatus d’occupation survienne avant les occupations de l’âge du Bronze final, identifiées sur environ deux hectares en partie nord de la prescription (secteur 5). Dans ce secteur où plusieurs fosses avaient été fouillées et datées du Bronze final 2 lors du diagnostic, la fouille extensive a confirmé la présence de nombreuses excavations, dont des silos à comblement bien stratifié, ainsi qu’un petit groupe funéraire encore mal daté, mais pour partie au moins attribuable à cette période. Il s’agit sans doute d’un habitat complet établi en bordure de rivière. Un nombre conséquent de creusements de poteaux de bois a été identifié dans ce même secteur, mais en première analyse, ils semblent se rattacher essentiellement à l’habitat du Second âge du Fer.
Le Premier âge du Fer et le début du Second (VIe-IVe s. av. J.-C. ?) se caractérisent par une occupation en apparence peu structurée, mais qui s’étend sur une large partie de l’emprise (secteurs 1, 6 et 8). Elle est principalement marquée par deux puits contenant du mobilier céramique, au sein duquel on signalera la présence d’importations méditerranéennes et d’imitations de céramiques grecques. D’autres structures en creux (silos, trous de poteaux) pourraient potentiellement être attribuées à cette période, mais il faudra attendre les études de mobilier pour s’en assurer.
C’est à partir du Second âge du Fer (IIe-Ier siècles av. J.-C.) que l’occupation prend une forme beaucoup plus structurée, notamment dans les secteurs 5 et 6 où elle est marquée par au moins deux bâtiments sur poteaux, associés à des puits et à une fosse polylobée.
Cette période semble également marquée par le développement de l’installation vinicole, comme l’attestent plusieurs dolia en place (notamment dans le secteur 1), ainsi que le mobilier résiduel mis au jour dans les structures du chai antique (campaniennes, amphores Dressel 1…). Par ailleurs, cette continuité est marquée par la présence de structures tardo-républicaines (cave, fosses, puits) qui assurent la jonction entre l’occupation du Second âge du Fer et les premiers aménagements antiques : à ce titre, on signalera que les fosses d’implantation de vigne, qui se développent en périphérie immédiate du chai, ont livré du mobilier augustéen.
Les restes très arasés de la pars rustica d’une villa romaine ont été mis au jour au sud du secteur 6. Les vestiges sont dans un mauvais état de conservation : arasement du bâti, épierrement des murs, disparition des niveaux de circulation. Néanmoins, la fouille extensive a permis l’élaboration d’un plan : l’établissement comprend plusieurs pièces, restituées à la faveur de niveau de fondation de murs ainsi que par plusieurs tranchées d’épierrement.
La vocation vinicole de l’établissement est avérée par différents éléments. Si l’arasement du site n’a pas permis la conservation d’un pressoir, trois pièces réservées à l’aménagement des dolia de stockage ont été identifiées, rassemblant environ 80 individus dont ne subsiste plus que les fosses de spoliation. Cette densité, plutôt importante de jarres plaide pour une vocation vinicole plutôt qu’oléicole de l’établissement. Un mur enduit d’un mortier hydrofuge laisse présumer la présence d’un espace dédié au foulage, ou d’une cuve partiellement conservée, perturbée par des aménagements postérieurs. Enfin, un réseau de fosses de plantation de vigne orienté est/ouest, se développant à l’est des bâtiments a été mis au jour venant appuyer l’hypothèse d’un chai.
Plusieurs structures en creux ont également été mises en évidence et fouillées, ainsi qu’une quinzaine de fond de dolia en place qui ne font pas partie du chai.
Deux puits dans la cour présumée du chai et trois dans sa périphérie complètent le plan de cet établissement. L’un d’entre eux a livré des restes organiques non carbonisés, dont des pépins de raisin.
Une occupation antique plus modeste a été identifiée en limite sud d’emprise (zone 2 : secteur 8). En l’état, la nature, la fonction et la datation précise de ces vestiges sont indéterminées.
L’Antiquité tardive est représentée par deux espaces funéraires. Le premier (zone 3 : secteur 9) a livré 18 sépultures à inhumation caractérisées par des aménagements funéraires spécifiques voire monumentaux pour certains. La plupart de ces architectures se présentent sous la forme de bâtières en tuiles, associant souvent tegulae et imbrices, et surmontant une simple fosse ou pour les plus élaborées un véritable caveau maçonné.
Une des tombes était quant à elle dépourvue de bâtière mais scellée par une stèle funéraire semble-t-il précoce et réemployée ici comme couverture, associée à une base de colonne et un troisième élément d’architecture funéraire également en réemploi.
Une sépulture d’immature était caractérisée par un coffrage en pierres, tandis que dans deux tombes une imbrex était utilisée comme repose-tête. La plupart des sépultures sont orientées est-ouest, les autres étant orientées nord-sud. L’étendue réelle de cet espace funéraire n’a probablement pas été perçue entièrement lors de cette fouille (extensions hors emprise côtés est et sud), toutefois il est probable qu’il s’agisse ici d’un petit espace funéraire dont les caractéristiques renvoient l’image d’une population aisée. Plusieurs tombes, dont l’aménagement pouvait sembler plus sobre, ont néanmoins livré du mobilier de qualité et notamment en verre.
A quelques 300 m au nord-est, un second espace funéraire tardo-antique (secteur 7 : zone 2) se développe sur environ 1000 m² et livre une cinquantaine de sépultures à inhumation pour la plupart également caractérisées par des aménagements en bâtières plus ou moins complexes mais beaucoup moins ostentatoires que ceux mis au jour sur le secteur 9. Quelques tombes étaient dépourvues d’aménagement funéraire, les corps reposant dans de simples fosses ; des coffrages en pierres ont également été mis au jour. Les tombes sont principalement orientées est-ouest. La population est principalement représentée par des sujets adultes, on notera notamment l’absence d’enfants en bas-âge. Le mobilier d’accompagnement est rare, il s’agit généralement de dépôts céramiques, quelques éléments de parure ont également été retrouvés, ainsi que de probables lampes à suif en fer dans deux sépultures. L’espace funéraire semble délimité par deux fossés (nord-sud et est-ouest). Son extension à l’est n’a pu être vérifiée, une tombe est en partie en dehors de l’emprise de la fouille, toutefois une tranchée réalisée à 20 m à l’est s’est révélée négative. La nécropole semble donc en grande partie mise au jour.
Ces deux espaces funéraires ne sont pour l’heure rattachés à aucun lieu d’habitat contemporain.
La période médiévale est documentée par la périphérie est d’un cimetière. Il se rattacherait au prieuré de Favary dont les bâtiments sont mentionnés pour la première fois au XIe siècle. Sur l’emprise de l’opération, 81 sépultures ont été fouillées. La datation ne peut se faire à l’heure actuelle que par la typologie des tombes car aucun mobilier n’a été retrouvé, à l’exception d’un couteau. Par comparaisons régionales, leur datation est estimée entre le Xe et le XIIe siècle.
Deux phases d’inhumations ont été identifiées par leur type architectural ainsi que leur niveau d’enfouissement. La phase la plus ancienne s’inscrit dans les couches les plus profondes du cimetière et regroupe des sujets inhumés en espace vide. Aucun résidu organique n’a été noté mais des calages en pierres sont visibles, le plus souvent sur un seul côté du squelette. La deuxième phase comprend des sépultures avec une architecture plus complexe. Elle est majoritairement représentée par des coffres de blocs de grès non maçonnés. La plupart des couvercles étaient présents, mais aucun fond en pierre n’a été aménagé. La forme des coffres est variable : ovoïde, rectangulaire, anthropomorphe ou trapézoïdale.
Il y a très peu de recoupements entre les tombes et la grande majorité des fosses était visible dès le premier décapage y compris celles de la phase la plus ancienne. Des marqueurs de surface devaient être présents mais un seul a pu être retrouvé. Les tombes sont toutes orientées la tête à l’ouest à trois exceptions près orientées nord/sud. La grande majorité des inhumés se présente sur le dos et toutes les classes d’âges sont représentées.
Des traces de travaux agraires (cultures en sillon/billon ?) et des fosses de plantations d’arbres parsèment le site. Elles sont mal datées mais sont, de toute évidence, postérieures au Moyen-Age.
Bilan
Le chantier de Favary a livré des vestiges d’occupations humaines qui s’échelonnent sur plus de 5000 ans. Pour le Néolithique et l’âge du Bronze, la succession et la fonctionnalité des occupations mises en évidence devront être mise en perspective avec les découvertes bien connues du bassin de Trets (commune limitrophe), mais aussi avec celles du chantier de Château-l’Arc à Fuveau mené par A. Hasler, presque en continuité topographique avec celui de Favary. Pour l’âge du Fer et le Haut-Empire romain, la continuité d’implantations est notable et autorise un questionnement sur les modalités de mise en valeur des territoires dans la vallée de l’Arc. Pour l’Antiquité tardive, les deux zones funéraires donnent à voir une implantation rurale dont l’habitat nous échappe à ce jour. Enfin, pour le Moyen-Age, ce chantier ouvre une fenêtre sur le prieuré de Favary, connu jusqu’à présent surtout par les sources textuelles.
Par Marie-José Ancel, Alexandre Ayasse, Audrey Baradat, Bertrand Bonaventure,
Clément Moreau, Mathieu Rué et Éric Thirault